Plongée au cœur d’une expertise judiciaire : quand le chauffage et l’eau chaude ne sont pas au rendez-vous

Plongée au cœur d’une expertise judiciaire : quand le chauffage et l’eau chaude ne sont pas au rendez-vous

Vendredi, Juin 6, 2025

L’hiver peut être rude, surtout lorsque le système de chauffage d’un immeuble fait défaut. Imaginez-vous dans un logement où les radiateurs restent froids aux étages supérieurs, où les chaudières tombent en panne à répétition, et où l’eau chaude se fait désirer chaque matin, coupant nette toute illusion de confort. C’est dans ce type de situation que naît une expertise judiciaire, souvent déclenchée à la demande d’un maître d’ouvrage ou d’un syndic, face à des désordres persistants et une incapacité à trouver une solution amiable.

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Le contexte technique du litige

Dans le cas qui nous intéresse, plusieurs dysfonctionnements ont été constatés après la mise en service du système de chauffage collectif et de production d’eau chaude sanitaire :

  • Défauts de fonctionnement des chaudières : arrêts intempestifs, alarmes fréquentes, et rendement insuffisant.
  • Mauvaise répartition de la chaleur : les radiateurs situés dans les étages supérieurs de l’immeuble restent froids, créant une forte disparité entre les logements.
  • Problèmes de production d’ECS : après quelques minutes d’utilisation le matin, l’eau chaude ne coule plus, forçant les habitants à reporter leur douche ou à se contenter d’une eau tiède voire froide.

L’installation prévoyait un système semi-instantané de production d’ECS, censé garantir une disponibilité quasi immédiate. Pourtant, l’échangeur de chaleur, pièce maîtresse du dispositif, n’a jamais été posé par l’installateur. Pire : le ballon de pré-puisage, destiné à stocker temporairement une petite quantité d’eau chaude, a été conservé mais connecté de manière hydraulique sans recalcul des débits, des volumes ou de la puissance nécessaire.

Résultat : un système bancal, mal dimensionné, incapable de répondre aux besoins réels des usagers.

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L’ouverture de l’expertise judiciaire

Devant la persistance des anomalies, le maître d’ouvrage engage une procédure judiciaire. Le tribunal désigne un expert judiciaire, indépendant, pour analyser la situation, en comprendre les causes techniques et déterminer les responsabilités.

Première réunion d’expertise

L’expert convoque l’ensemble des parties sur site :

  • Le maître d’ouvrage
  • Le maître d’œuvre (bureau d’études techniques)
  • L’installateur (entreprise de CVC)
  • L’architecte, le cas échéant
  • Les assureurs respectifs
  • Un ou plusieurs avocats

L’expert procède à une première inspection visuelle, questionne les occupants, et commence à collecter les documents techniques : plans, schémas hydrauliques, notices de mise en service, PV d’essais, rapports de maintenance, etc.

Phase d’analyses et constats

Plusieurs constats techniques émergent au fil des investigations :

  • L’absence de l’échangeur semi-instantané prive le système de sa capacité à produire de l’ECS à la demande.
  • Le ballon, non recalculé, est mal dimensionné : sa capacité est insuffisante pour répondre aux pics de demande du matin.
  • Le circuit de chauffage souffre d’un déséquilibrage hydraulique : mauvaise régulation de la pression, absence de robinets d’équilibrage aux étages, voire mauvaise configuration des circulateurs.
  • Les chaudières sont sollicitées de manière excessive, hors de leur plage optimale de fonctionnement, ce qui cause leur mise en défaut répétée.
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Le rôle de la GTB : un chef d’orchestre mal dirigé ?

Dans ce dossier, un élément transversal a retenu l’attention de l’expert judiciaire : le rôle de la Gestion Technique du Bâtiment (GTB).

Pensée comme un véritable système nerveux du bâtiment, la GTB pilote, régule et supervise l’ensemble des installations techniques : chaudières, circulateurs, pompes, vannes motorisées, sondes de température, production d’ECS… Elle permet d’optimiser les performances énergétiques tout en assurant le confort des occupants. Mais encore faut-il qu’elle soit bien conçue, bien paramétrée et bien intégrée.

Dysfonctionnements relevés dans la GTB

Dans l’affaire examinée, plusieurs problèmes sont apparus dès l’analyse des fichiers de supervision et des historiques de fonctionnement :

  • Des consignes de température mal programmées, notamment la nuit ou le matin, au moment critique du puisage d’eau chaude.
  • Une absence de scénarios de relance ou de priorisation entre le chauffage et l’ECS, causant une concurrence entre les usages aux heures de pointe.
  • Des défauts de communication entre les sondes et les automates, laissant certaines zones non régulées.
  • Une sous-utilisation des fonctions de supervision : alarmes non traitées, historiques non analysés, consignes inchangées depuis la mise en service.

En clair, la GTB était bien présente physiquement, mais inefficace dans son rôle de supervision intelligente. L’expert a mis en évidence que ce mauvais pilotage avait amplifié les dysfonctionnements mécaniques : un ballon sous-dimensionné mal piloté devient un point noir pour toute la production d’ECS, et une chaudière en défaut non relancée automatiquement crée un déséquilibre prolongé sur tout le réseau.

Une GTB mal intégrée : cause ou conséquence ?

La question centrale reste celle de la chaîne de responsabilité. Une GTB mal exploitée est-elle la conséquence d’un manque de formation des exploitants, d’une mauvaise programmation initiale, ou d’un défaut de conception en amont ?

Dans ce cas précis, l’expert a constaté que l’installateur n’avait pas prévu de prestations complètes de mise au point et de paramétrage, et que le maître d’ouvrage n’avait pas réceptionné une documentation fonctionnelle complète. Le flou contractuel a laissé un vide, dans lequel la GTB est devenue un outil inutile, voire contre-productif.

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Les griefs techniques retenus

Au terme de ses réunions et échanges contradictoires, l’expert rédige des notes intermédiaires puis son rapport définitif, où il formule plusieurs griefs techniques :

  1. Manquement contractuel de l’installateur : non-respect du CCTP (Cahier des Clauses Techniques Particulières) en ne posant pas l’échangeur prévu.
  2. Erreur de conception ou d’analyse hydraulique : absence de recalcul du système après modification de la configuration, ce qui aurait permis d’anticiper les manques.
  3. Défaut de mise en service ou d’équilibrage : le système n’a pas été réglé correctement, avec des déséquilibres majeurs entre les étages.
  4. Mauvaise coordination entre les acteurs du chantier : défaut de contrôle de la part du maître d’œuvre.
  5. GTB inopérante : absence de réglages, de scénarios de gestion, et de supervision réelle des défaillances.
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Et après l’expertise ?

Sur la base du rapport de l’expert, plusieurs issues sont possibles :

  • Transaction amiable : les parties trouvent un accord pour les réparations et une indemnisation.
  • Jugement au fond : si aucun accord n’est trouvé, le tribunal statue en s’appuyant sur le rapport d’expertise.
  • Travaux correctifs : ils peuvent inclure la pose d’un échangeur conforme, le recalcul du ballon, l’équilibrage du réseau, la mise en service complète de la GTB, voire le remplacement partiel du matériel.
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Conclusion

L’expertise judiciaire est un outil précieux lorsqu’un désordre technique dépasse les simples litiges d’opinion. Elle permet de clarifier les responsabilités et de documenter techniquement les manquements. Elle s’avère souvent incontournable dans les litiges liés aux systèmes CVC (chauffage, ventilation, climatisation) et aux systèmes de gestion technique du bâtiment (GTB), où les dysfonctionnements sont aussi invisibles que complexes à résoudre.

En effet, une GTB mal paramétrée ou non adaptée au dimensionnement réel peut aggraver les déséquilibres hydrauliques, perturber la régulation thermique et fausser les diagnostics. L’expertise permet alors de mettre en évidence les interactions entre les composants physiques (chaudières, ballons, vannes, circulateurs) et les systèmes intelligents qui les pilotent.

Le cas présenté ici illustre l’importance de la conformité aux prescriptions initiales, du respect des règles de l’art, et d’une mise en service rigoureuse. Un oubli — en l’occurrence, l’échangeur — peut transformer un confort promis en un contentieux durable.

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🔧 Recommandation pratique : intégrer la GTB dans une logique de performance

Pour éviter ce type de désordres, il est recommandé de :

  • Prévoir une mission spécifique de mise en service GTB (commissioning)
  • Réaliser une formation de l’exploitant et du maître d’ouvrage
  • Exiger un DOE fonctionnel complet, avec consignes, scénarios et plages horaires de régulation
  • Mettre en place un contrat de maintenance GTB avec suivi des performances et analyse des alarmes
  • Intégrer la GTB dans un plan de mesurage et de vérification (M&V) pour une évaluation continue des performances énergétiques
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